En 2015, Eskelina prenait son envol avec « Le matin du pélican », fruit de sa rencontre avec Christophe Bastien (Debout sur le Zinc) et Florent Vintrigner (La Rue Kétanou). C’était l’occasion de découvrir le charme délicieux de cette Suédoise exilée en France depuis plus de dix ans, et dont l’accent venu d’un ailleurs que l’on entend rarement chanter venait épicer notre langue. Sa simplicité espiègle et son amour de la vie de bohème, qui avaient inspiré les textes du premier album, lui avaient permis de se faire une place à part sur la scène de la chanson française et de conquérir les cœurs du public et de la profession : plus de trois cents concerts à travers toute la France, plusieurs récompenses, dont le Prix du Jury et le Prix du Public George Moustaki en 2016, deux Trianon et un Olympia (en première partie de Debout sur le Zinc et la Rue Kétanou) : le pélican voyageur a très vite pris de la hauteur.
Mais Eskelina n’avait pas fini de se raconter :
si « Le matin du pélican » parlait de l’éveil, du départ et de la soif de liberté, « La Verticale », également écrit et composé en grande partie par Christophe et Florent, s’impose comme l’étape d’après, celle de l’affirmation de soi. Ici, toute l’identité d’Eskelina prend chair. La Suède n’est plus qu’un accent fleurissant sur les mots : elle s’impose un peu plus, au son de la nyckelharpa, instrument traditionnel de son pays, réputé pour la richesse de ses sonorités. Parfois mélancolique (« L’Hirondelle »), parfois charmeuse (« Le Masque de Venise »), cette vièle traditionnelle à corde et à clavier se révèle à l’image de sa chanteuse : de morceaux en morceaux, on découvre une Eskelinamazone et amoureuse, parlant avec justesse des sentiments qui nous animent tous, et qui ne sont jamais ni noirs ni blancs.
Des horizons nouveaux s’ouvrent dans l’univers de celle qui est devenue la « petite suédoise de la chanson française ». Une diversité qui n’est pas le fruit du hasard : autour d’Eskelina, la communauté musicale s’est agrandie. Batlik a ainsi rejoint la composition, mettant sa plume ciselée au service de trois morceaux. D’autres invités viennent encore enrichir cet album, et notamment le groupe vocal Bukatribe, qui réchauffe les partitions avec un groove chaleureux et enivrant. Si la chanson française est toujours mise à l’honneur, elle flirte cette fois avec un swing espiègle (« L’Emmerdeuse »), s’acoquine avec un tango sulfureux (« Le couteau ») puis se dépouille auprès d’une folk que l’on aimerait jouer au coin du feu (« Charlie Townsend »). Et dans cette myriade d’ambiances, la superbe voix de soprano d’Eskelina sert de fil conducteur dans l’exploration de la richesse de son parcours.
Il faut dire que beaucoup de choses se sont passées depuis qu’elle a quitté son petit village de Suède natale. A vingt ans, à l’heure où d’autres profitent de leur printemps, elle s’abîmait entre des petits boulots sans intérêt et un avenir bouché par les grands arbres de la forêt du Blekinge. Épuisant son temps au son de la télé, écrasant son ennui sous des couches de maquillage et de nouveaux vêtements, elle finit par comprendre qu’il lui faudra sortir de sa zone de confort pour terrasser la langueur qui la cloue au sol. L’électrochoc se fera au contact d’une communauté de personnes qui revendiquent le droit de vivre différemment, de manière plus simple, plus insouciante. Un rêve de renaissance se forme dans son esprit avec, comme décor, les paysages de France que son beau-père, Charlie, lui avait fait découvrir quelques années plus tôt au cours d’un road-trip familial et à qui elle dédicace aujourd’hui une chanson. Lorsqu’elle saute enfin le pas, Eskelina se dirige tout droit vers le sud et ses tournesols, devenus son eldorado.
Commence alors une vie à mille lieux de tout ce qu’elle connaissait. Entre les artistes de rue de Sarlat et un quotidien dépouillé de tout matérialisme, Eskelina respire, déploie ses ailes. Chantant ses chansons aux passants, une guitare à la main et une fleur de tournesol sur le micro, elle s’explore, se devine, et apprend à s’assumer. Quelques années plus tard, elle rencontre Christophe Bastien à un concert de Debout sur le Zinc. Et puis, tout s’enchaîne : il décide de composer pour elle et invite Florent Vintrigner à rejoindre l’aventure. Immédiatement, la magie opère : de leurs conversations autour d’une table et d’une bouteille de vin apparaissent les chansons qui donneront naissance au « Matin du pélican » et à la suite de l’aventure.
C’est peut-être cela qui rend Eskelina si touchante : ce dilemme, entre vie subie et vie choisie, si propre à notre époque, elle l’a vécu. Et c’est l’énergie qu’elle a trouvée pour tracer sa route qu’elle transmet à son public : déjà sur les pavés de Sarlat, et encore aujourd’hui sur scène, Eskelina envoie des bouteilles à la mer, poussées par un vent de liberté, qui lui reviennent chargées des émotions de ceux qui l’écoutent. Avec cette sincérité et cette simplicité sans fard qui lui est propre, elle revendique, pour elle-même et pour tous les autres, le droit d’être qui elle veut.
Et sur « La Verticale », c’est cette identité- là qui s’affirme : celle d’une féminité forte, sensuelle, qui aime à plusieurs et parle fort. Entre la flamboyance ardente d‘une Lhassa de Sela et le mutin d’une Emily Loizeau, Eskelina explore toute la palette de son identité avec l’assurance d’une séductrice qui ne se laisse enfermer ni par la société, ni par la bien- pensance. Il y a deux ans, le pélican prenait son envol. Aujourd’hui, il brûle de passion et nous invite, à notre tour, à nous consumer à la flamme de notre feu le plus intime.